Repères
- 126,7 millions d’habitants (Banque Mondiale, 2021)
- 1963 : Appuyé par le gouvernement mexicain, les acteurs de la boxe souhaitent agrandir l’influence du Mexique au niveau international. Des représentants d’Amérique latine, d’Asie, d’Europe et des Etats-Unis assistent à une convention à Mexico City qui aboutira à la création de la WBC, la première fédération mondiale de boxe professionnelle.
- 1968 : Jeux Olympiques de Mexico. Le Mexique remportera 4 médailles en boxe.
- 1993 : Julio Cesar Chavez met KO Greg Haugen, à l’Estadio Azteca de Mexico, devant plus de 132 000 spectateurs.
- 1996 : Victoire d’Oscar De La Hoya face à son idole Julio Cesar Chavez. Passage de témoin symbolique entre la légende mexicaine et la star mexicano-américaine.
- 2018 : Saul Alvarez signe un contrat record de 365 millions de dollars avec la plateforme de streaming DAZN.
« Peu importe la force de notre adversaire, nous fonçons tête baissée avec le courage et la fierté d’être mexicain. » Cette phrase de Joaquín Rocha, médaillé de bronze aux Jeux olympiques de 1968 à Mexico, démontre la réputation de la boxe mexicaine. Si les Etats-Unis représentent l’ascension vers la richesse et la gloire, le Mexique représente la persévérance.
Est-ce l’histoire de ce pays parsemée de nombreux conflits qui a forgé cet état d’esprit combatif ? Difficile à croire aujourd’hui mais le pays n’a pas toujours été aussi patriote. L’historien Thomas Benjamin note que les mexicains ont eu du mal à créer un sentiment de solidarité nationale dans un pays très divisé après trois siècles de colonisation espagnole.
« Pour bien des chercheurs, le véritable nationalisme mexicain naît avec la grande Révolution, d’une part parce que celle-ci semble manifester l’irruption d’un peuple, pour la première fois sujet actif de son histoire, et avec lui d’une identité nationale. »[1]
Paradoxalement, cette période très violente va faire environ 2 millions de morts, entre 1910 à 1920. C’est à la fin de cette révolution que la boxe va se développer au Mexique.
« Le bon mexicain »
Mexico City, alors en pleine expansion, attire la population des campagnes à la recherche de travail. Cet afflux de jeunes hommes va favoriser la compétitivité des talents qui se retrouvent dans les gyms des quartiers défavorisés de la capitale.
Dans un pays où les élites ont longtemps méprisé les classes populaires, le succès par la boxe représente une sorte de revanche sociale. Les grands boxeurs auront droit à leur propre corrido, ces chants à la gloire des révolutionnaires.
« Après la seconde guerre mondiale, les boxeurs sont devenus des puissants symboles de la culture nationale mexicaine par leur performance sur et en dehors du ring. Ils recevaient les louanges des hommes politiques et des médias en présentant une image virile et moderne du Mexique à l’intérieur de ses frontières et à l’étranger. » explique l’historien Stephen D. Allen dans l’ouvrage Une histoire de la boxe au Mexique : Masculinité, modernité et nationalisme.
Après 7 ans de disette, Jose Becerra bat Alphonse Halimi pour devenir le champion du monde des poids coqs, en 1959 à Los Angeles. A son retour au pays, Becerra fut accueilli par une « marée humaine » de supporters à l’aéroport de Mexico City. Le président Adolfo López Mateos, le recevra au palais présidentiel : « Tu as triomphé comme un bon Mexicain ».
« Boxer à la mexicaine »
Julio Cesar Chavez est le symbole de la boxe au Mexique. Quand on lui demande d’où vient cette rage mexicaine, il explique simplement. « Malheureusement ou pas, les mexicains ont le sang chaud. Tous les boxeurs mexicains, en tout cas la majorité, viennent de familles pauvres. Pour aider sa famille, vous souffrez sur le ring pour lui donner de l’argent. C’est pour ça qu’on va toujours vers l’avant. Nous sommes des guerriers. »
Les mexicains « admirent la force de l’âme face à l’adversité plus que le triomphe le plus brillant » analyse Octavio Paz, prix Nobel de littérature dans son essai Le Labyrinthe de la solitude, qui rassemble plusieurs réflexions sur la nation et le peuple mexicain. Au Mexique, « l’idéal masculin est de ne jamais « craquer », ne jamais reculer. Ceux qui expriment leurs émotions sont des lâches. »
On reconnaît bien là les caractéristiques de ce style spectaculaire qui plaît au grand public. Les boxeurs mexicains mettent beaucoup de coups, avancent coûte que coûte et n’abandonnent jamais. L’anthropologue Didier Machillot explique que « le « macho » a pendant très longtemps représenté à la fois un idéal masculin – celui de l’homme fort et viril – et national – symbole du Mexique et de sa révolution de 1910. »[2] Le style mexicain serait donc fortement lié à l’histoire et à l’honneur de la patrie.
Pour le journaliste spécialisé Roberto José Andrade Franco, « c’est le machisme mexicain qui est appliqué et pratiqué à l’intérieur du ring construit sur une simple croyance : « Je suis plus fort que toi. » Cette maxime de violence fait qu’un boxeur est prêt à prendre un ou deux coups pour en placer un, confiant dans sa résistance ; il lui suffit de tuer la confiance de son adversaire. »
Par-delà les frontières
Dès ses débuts, la boxe au Mexique fut liée à son riche voisin. A la fin du 19è siècle, les premiers combats opposent principalement des boxeurs venus des Etats-Unis, devant un public issu des élites mexicaines.
Dans les années 70, l’immigration mexicaine en Californie continue de croitre. Alors que des milliers de personnes traversent la frontière à la recherche d’une vie meilleure, la mythique salle Forum, dans les environs de Los Angeles, reçoit la crème de la boxe mexicaine séduite par des bourses plus alléchantes et la reconnaissance internationale. C’est l’époque de Ruben Olivares, Jose Nápoles, Miguel Canto, Pipino Cuevas, Carlos Palomino, Vicente Saldívar, Salvador Sánchez, et Carlos Zárate. Tous seront nommés au Hall of Fame.
En 1973, un article du New York Times décrit l’ambiance du match entre Jose Nápoles et Ernie Lopez comme symbolisant « la ferveur nationaliste qui a fait renaître la boxe sur la côte ouest », notant que les supporters, « dont de nombreux Mexicains qui ont traversé la frontière par milliers, ont chanté leur hymne national haut et fort en brandissant leurs sombreros, leurs drapeaux et leurs poings ».
Aujourd’hui, plus de 30% de la population de Californie est d’origine mexicaine et ce n’est pas un hasard si l’on y trouve les meilleurs gyms du monde comme la Robert Garcia Boxing Academy. Faisant face aux discriminations raciales, de nombreux fils d’immigrés trouvent en la boxe un moyen de renouer avec leurs racines mexicaines. Selon l’historien Gregory Rodriguez, pour eux « la boxe n’était pas associée à l’américanisation, mais à la mexicanité et aux victoires mexicaines ».
Cette génération issue des deux côtés du Rio Grande, verra naître des champions tels qu’Oscar De La Hoya, Fernando Vargas, Robert Garcia, Juan Diaz, Diego Corrales, Orlando Canizales, Johnny Tapia, et aujourd’hui Mikey Garcia, Andy Ruiz, Ryan Garcia, Vergil Ortiz, Leo Santa Cruz, Jose Ramirez, Abner Mares…
Dans la culture
En juillet 2020, Boxrec recensait 4415 boxeurs professionnels mexicains (hommes et femmes confondus). C’est plus que n’importe quel autre pays au monde. « On connaît le Mexique pour la boxe, c’est notre culture » affirme Manuel Lopez, entraîneur réputé de Mexico, dans le documentaire Fightworld. « Nous sommes un peuple de guerriers », renchérit un membre de son club.
« Personnellement, peu de sentiments se comparent à l’adrénaline que je ressens lors d’un combat de boxe dans une arène remplie d’autres mexicains/mexicano-américains. Quand j’entends la musique d’entrée du ring de la rancherita ou quand je vois le beau vert, le blanc et le rouge, quelque chose en moi explose. C’est un sentiment très puissant. C’est de la fierté, de la ferveur et du machisme, le tout enveloppé dans un seul sentiment. » écrivait le journaliste Juan Angel Zurita en 2002, dans son article « La boxe mexicaine : Notre fierté et notre passion ».
Ces dernières années, beaucoup se sont plaints du manque de popularité de notre sport. Mais si la boxe est née il y a plus d’un siècle au Royaume-Uni, son cœur vibre aujourd’hui du côté de Tijuana, Guadalajara ou Mexico City. Là où des générations de jeunes perpétuent la tradition de la boxe « à la mexicaine ». Viva Mexico !
[1] Covo-Maurice Jacqueline, in Les sujets contemporains et leurs mythes en Espagne et en Amérique Latine, Traverses, université de Paris 8, 2008.
[2] Didier Machillot, « Les stéréotypes du « macho » dans l’Etat de Jalisco », Civilisations, 62 | 2013, 165-180.