“Les coups que je porte secouent aussi bien mes adversaires que les fondations de notre société” déclarait la championne du monde Myriam Lamare en 2006, à l’occasion de la Journée internationale des femmes. Face à la montée des revendications féministes tout au long du XXe siècle, le monde de la boxe a longtemps fait figure de bastion de la virilité. Il faut en effet attendre les années 90 pour que les femmes obtiennent le droit de participer à des compétitions de boxe anglaise – 1997 pour la France – alors que cela fait plus de 50 ans qu’elles ont obtenu le droit de vote. Des carrières féminines extraordinaires comme celles d’Anne-Sophie Mathis ou Sarah Ourahmoune ont immédiatement suivi, inspirant les réalisateurs. On a ainsi vu apparaître des femmes devant et derrière la caméra dans « Girl Fight », réalisé en 2000 par Karyn Kusama, avant que Clint Eastwood ne mette une claque aux préjugés sexistes dans « Million Dollar Baby » en 2004. Cette percée féminine dans les représentations du manly art(1) s’est ensuite étendue au monde entier, de l’Allemagne au Japon en passant par l’Inde(2), en dépit de la France. Le très bon téléfilm « Danbé », la tête haute, sur la championne du monde amateur Aya Cissoko, ne compense pas l’absence des boxeuses sur le grand écran français. Si la marche vers l’égalité des genres au sein des films de boxe semble en bonne voie à l’échelle mondiale, le cinéma hexagonal reste en queue de peloton.
De l’ombre à la lumière
Jusqu’ici cantonnées aux rôles d’adversaire ou de sparring-partner, les minorités ethniques obtiennent de plus en plus le premier rôle. Par sa longévité, la saga Rocky illustre parfaitement ce phénomène. Les boxeurs afro-américains de la famille Creed sont ainsi passés du rôle de l’adversaire de Rocky durant les deux premiers épisodes, à celui de sparring-partner et ami du héros, pour finalement prendre sa place en tête d’affiche dans le second volet de la saga. Même derrière la caméra, c’est le réalisateur noir-américain Ryan Coogler qui signe le premier épisode consacré à Adonis Creed. Cette évolution fait écho aux revendications des mouvements noir-américains des années 60 – notamment incarnés par un certain Mohamed Ali – jusqu’à Black Lives Matter. Comme dans tous les autres domaines de la société, ils réclament une meilleure représentation des Noirs dans le cinéma. Notons qu’avant de réaliser « Creed » en 2015, Ryan Coogler avait mis en scène le meurtre de l’afro-américain Oscar Grant par un policier dans Fruitvale Station en 2013. En France aussi, les minorités ethniques se retrouvent au cœur d’une part grandissante des films de boxe. Dans son téléfilm Douce France, le réalisateur Stéphane Giusti met en scène une famille d’origine algérienne dont l’un des fils est champion du monde de boxe anglaise. “Frank Nicotra et moi-même sommes d’origine italienne et nous voulions parler de la question de l’immigration”. Le biopic réalisé par Jacques Ouaniche en 2013 porte quant à lui sur le parcours dramatique du boxeur tunisien Victor “young” Perez, champion du monde des poids mouches. Dans un cas comme dans l’autre, les réalisateurs mettant en scène des boxeurs racisés sont eux-mêmes issus de l’immigration. L ’ augmentation du nombre de cinéastes faisant partie de la seconde, voire de la troisième génération des différentes vagues migratoires qu’a connu la France peut donc expliquer en partie cette évolution. Mais elle est aussi inspirée des nombreuses carrières de boxeurs issus de la diversité qui ont couvert de gloire le drapeau tricolore. “Qu’on le veuille ou non, l’immigration et la boxe sont liées. Beaucoup de champions français sont d’origine algérienne, marocaine, camerounaise, etc. Mormeck par exemple, qui a grandi en région parisienne, est d’origine guadeloupéenne” explique Stéphane Giusti.
Une technique de pointe
“Moi je kiffe les Rocky – j’ai grandi avec – mais quand je les regarde maintenant, c’est n’importe quoi ! Techniquement, c’est n’importe quoi. Tu le vois prendre des parpaings et dire “Vas-y tape, continue !” Non, ça n’existe pas, même si c’est toujours un bon film qui t’apprend énormément” confie Tony Yoka à Nawell Madani. Si l’absence totale de garde de Rocky Balboa a pu faire rire des générations de boxeurs, les esquives, remises et autres mouvements du buste d’Adonis Creed ont de quoi impressionner les plus sceptiques. “Quand j’ai regardé « Creed », j’étais choqué parce que le mec, ça se voit qu’il a fait de la boxe pendant longtemps. Il a fait plusieurs mois de boxe, pour justement ne pas avoir un niveau ridicule” ajoute le champion olympique. Bien sûr, la mise en scène de Ryan Coogler y est aussi pour quelque chose. Outre le fait que les chorégraphies soient réglées au millimètre près, dans un souci de réalisme jamais atteint jusqu’ici, le réalisateur nous offre une mise en scène révolutionnaire. Pour la première fois de l’histoire du film de boxe, il propose un combat entièrement filmé à la steadycam(3) depuis l’intérieur du ring, et le tout en plan séquence ! Le résultat est plus que percutant, mettant le spectateur en immersion totale dans le combat. Résonnant avec une société en perpétuelle mutation, le film de boxe évolue mais à son propre rythme. Si les femmes ont obtenu le droit de vote en 1944, elles n’ont obtenu le droit de se battre sur un ring qu’en 1997 et si dès lors des boxeuses ont fait honneur à notre sport, aucun film sorti en salle ne leur a encore été dédié en France. En revanche, de plus en plus de films mettent en scène des boxeurs issus de l’immigration, et la mise en scène des combats reste à la pointe de la technologie. S’adaptant à chaque évolution de la société, force est de constater que le film de boxe a encore de beaux jours devant lui.