En tant que fan de boxe anglaise, je suppose que vous avez déjà entendu, venant de la part d’une personne extérieure à ce sport, la question suivante : « Pourquoi untel n’affronte pas untel ? ». Lorsqu’il ne s’agit pas d’un match-up hérétique opposant deux boxeurs d’époques ou de catégories de poids différentes, cette question est souvent pertinente. Pourquoi ces deux boxeurs – assez populaire pour qu’un néophyte les connaisse- ne s’affrontent-ils pas ?
Des parties prenantes aux intérêts divergeant
Si les confrontations entre boxeurs ne se font pas toujours, cela est souvent dû à la divergence d’intérêt entres les parties qui régissent la boxe. Les 4 fédérations mondiales ont des classements et des champions différents, ce qui complique les unifications. Chacune des fédérations ayant son propre classement, lorsqu’un boxeur unifie plusieurs ceintures, il doit faire face à différents challengers obligatoires au risque de perdre un des titres. Alors que le monde entier souhaitait voir un combat d’unification entre les champions des poids lourds Anthony Joshua et Tyson Fury, la WBO imposa à Anthony Joshua d’affronter son challenger Oleksandr Usyk. Depuis, Joshua a déclaré qu’il serait prêt à lâcher une ceinture si nécessaire pour que le combat contre Fury se réalise.
En plus de l’aval des fédérations, les promoteurs doivent trouver un accord pour que leurs boxeurs puissent combattre. Premier Boxing Champions a acquis la triste réputation de geôlier de la boxe à cause de son manque de concessions. Ses têtes d’affiches combattent le plus souvent entre elles. Al Haymon a mis en place un circuit fermé dans le but de satisfaire au mieux ses intérêts. Les rares bons de sorties qu’il offre à ses boxeurs concernent des rencontres où le bénéfice est supérieur au risque. Ce fut le cas lorsqu’Andy Ruiz fut contacté par Matchroom pour combattre Anthony Joshua, Jarrell Miller ayant été sanctionné pour dopage. D’un côté, Joshua disputait son premier combat aux Etats-Unis et il lui était préférable de combattre un américain. De l’autre, Andy Ruiz et Al Haymon ont eu l’opportunité de remporter 3 ceintures tout en s’assurant une bourse faramineuse. Les intérêts de toutes les parties convergeaient alors.
Une logique économique qui surpasse la logique sportive
Un autre cas de divergence, cette fois-ci interne, entre promoteurs et boxeurs nous explique que les difficultés d’accord résident également dans l’aspect économique des combats. Après sa victoire contre Oscar Valdez, Shakur Stevenson a déclaré son envie d’unifier totalement la catégorie des super-plumes, ce à quoi son promoteur a répondu : « f*ck being champion unified ». Les propos de Bob Arum s’expliquent par le manque de notoriété des deux autres champions de l’époque, Roger Gutierrez et Kenichi Ogawa, et donc des faibles bourses qui découleraient de ces combats.
Par ailleurs, un combat entre un champion établi et un jeune prospect invaincu est davantage intéressant une fois que le prospect est au top. Pour Errol Spence, par exemple, il serait plus avantageux d’affronter Jaron Ennis une fois que ce dernier aura acquis un plus grand statut. Sur le papier, cette stratégie est intelligente mais certains exemples nous montrent qu’il y a des risques à attendre. Le combat entre Mayweather et Pacquiao est arrivé trop tard sportivement parlant, car les 2 boxeurs voulaient attendre le moment le plus lucratif pour le faire.
Pour Dana White, président de l’UFC, le constat est sans appel : « Un des plus gros problèmes de la boxe est que ces gars sont surpayés. Chaque combat est à perte. Vous ne pouvez pas construire un sport comme ça ». Pour lui, c’est toute l’économie du sport qui est néfaste. Le système a créé des monstres financiers qui ne combattent plus en dessous d’un certain montant. A contrario, les super-mouches étant peu connus, seuls les affrontements entre les meilleurs leur confèrent une visibilité accrue. Sur les dix dernières années, 11 combats ont opposé 2 des 4 meilleurs super-mouches. Le dernier en date ayant vu s’affronter « Chocolatito » et Estrada a rapporté 800 000 dollars, ce qui est une exception dans cette catégorie. Suite à cet exemple, nous sommes en droit de nous demander si les boxeurs sont payés à la juste valeur des adversaires qu’ils affrontent.
Quelles solutions ?
Est-ce qu’une ligue fermée, comme l’UFC, pourrait être une solution ? Organisation leader sur le MMA, sa position lui permet de signer les meilleurs combattants. Néanmoins, les termes des contrats qu’elle propose offrent peu de liberté à ses athlètes. Ils sont contraints d’affronter les adversaires que leur impose l’UFC au risque de se faire évincer et de se retrouver dans une autre organisation où les bourses sont nettement moins intéressantes. Ce système engendre de grands combats mais confère aux combattants un salaire bien en dessous de ce qu’ils génèrent.
En boxe, l’absence de ligue fermée implique que les boxeurs ont plus de libertés et ont le choix parmi plusieurs promoteurs aux armes similaires. Un combattant en fin de contrat chez Top Rank peut très bien le prolonger ou partir chez Matchroom ou PBC si ces derniers lui offrent un meilleur contrat. Les stars peuvent devenir « free-agent » et s’affranchir d’un promoteur en négociant combat après combat pour être le plus libre possible, comme l’a fait Canelo depuis la fin de son contrat avec Golden Boy Promotions.
Entre les restrictions de la ligue fermée et les divergences entre fédération, promoteurs et boxeurs, le système idéal semble compliqué à trouver. Cependant, l’avenir est prometteur, Devin Haney par exemple a accepté de boxer Kambosos chez lui en Australie, pour une bourse inférieure et ce, dans le but de marquer l’histoire en devenant le premier champion unifié des légers. Il a privilégié la logique sportive aux dépens de ses intérêts économiques et cela s’est avéré payant. Espérons alors que cette situation serve d’exemple à ses pairs.
très bien rédigé.