Comment avez-vous pris la nouvelle de votre intronisation ?
C’est un honneur qui ferme la boucle. Quand on est champion du monde, on peut avoir différentes ceintures et entre guillemets, des ceintures bidons. Ceux qui connaissent vraiment la boxe savent que ce sont les titres suprêmes de la WBC, WBA, etc. qui comptent vraiment, mais la plupart des gens n’arrivent plus à s’y retrouver et ne savent plus qui est qui. Même si je suis championne du monde, le fait que je sois un peu introvertie fait qu’on ne me reconnaît pas en tant que telle, donc le fait de m’inscrire au Women boxing Hall of Fame parmi les meilleures boxeuses du monde entier me valorise énormément. On honore véritablement mon travail qui longtemps n’a pas été reconnu. Même quand j’ai reçu les Gants d’or, Jean-Claude Bouttier a refusé de me les remettre.
Pour quelle raison ?
Il a refusé parce que je suis une femme. Ce n’est pas méchant, il est de la vieille école : pour lui, une femme n’a pas à boxer. Il ne m’a pas non plus dénigrée comme certains dénigrent la boxe féminine. Comme Jean-Marc Mormeck, il considère qu’une femme n’a rien à faire sur un ring car elle risque de s’y blesser. Une femme, c’est beau à regarder, c’est pas fait pour prendre des coups. Je ne lui en veux pas trop parce que c’est un ancien, j’ai plus de mal avec les plus jeunes qui tiennent le même discours.
Quatre ans après vous être retirée des rings, quel regard portez-vous sur votre carrière ?
Mon parcours de vie se résume au fait que j’ai préféré un entraîneur en qui j’avais confiance alors que j’aurais pu choisir des entraîneurs plus intéressants pour ma carrière. Aujourd’hui, la boxe est un monde de requins alors que je pouvais suivre mon entraîneur les yeux fermés. Au niveau des titres, on n’a pas fait ce qu’il fallait parce qu’on n’a pas rencontré les bonnes personnes au moment voulu. Je n’ai eu un agent qu’à partir du moment où j’ai travaillé avec Michel Acariès, donc en 2016 seulement. Quand il a pris sa retraite, Christel Aujoux qui travaillait avec lui s’est mise à son compte et est devenue mon agent. Mais la boxe féminine était si peu développée qu’elle n’a pas réussi à me dégoter des combats intéressants. C’est franchement dommage mais en terme de boxe pure, je n’aurais jamais pu mener cette carrière sans elle.
Vous faites partie des rares élus à posséder ce qu’on appelle le punch. Pourriez-vous nous raconter le moment où vous vous en êtes rendu compte ?
Pour moi, ce n’est pas le punch. De mon point de vue, le punch, c’est quand on frappe un coup sec et que l’adversaire tombe par terre. Moi, j’ai plutôt une frappe lourde. Je ne faisais pas forcément tomber mon adversaire mais je le faisais reculer, tellement je frappais fort. Je n’avais pas une frappe sèche, qui mettait directement K.-O. sur un coup. La majorité des K.-O. que j’ai fait, c’était des K.-O. debout ou des arrêts de l’arbitre.
Dans ce cas, quand vous êtes-vous rendu compte que vous aviez un talent pour la boxe ?
Jamais. La boxe ne m’était pas dédiée à la base mais à l’époque, j’étais une très grosse bagarreuse. Personne ne me faisait peur, j’étais la terreur de mon quartier. Je ne me battais pas pour le plaisir mais je ne me laissais pas faire, et j’étais connu comme le loup blanc pour ça. Mon petit-ami de l’époque, Grégory Tony – champion du monde en boxe pied-poing -, m’a invité à faire de la boxe pour extérioriser mon agressivité. Mes premières sensations n’ont pas été bonnes. Je n’avais pas envie de me battre avec quelqu’un et surtout pas en respectant des règles. Le prof m’a prise aux PAO en leçon individuelle. En fait, je n’avais pas besoin de frapper mais le fait qu’il s’occupe de moi personnellement tout en me défoulant, ça m’a fait beaucoup de bien. Il m’a tout de suite dit qu’il y avait quelque chose à faire. La force, je l’ai depuis toute petite, c’est inné chez moi.
Le 2 décembre 2011 à Albuquerque, vous mettez Holly Holm K.-O. debout mais l’arbitre se refuse à arrêter le combat… Quel est votre sentiment à ce moment-là ?
Je suis dans le milieu depuis longtemps, j’en connais toutes les entourloupes. Tous les boxeurs savent que lorsque vous disputez un championnat à l’étranger, si vous ne gagnez pas par K.-O., vous êtes sûr de perdre. Holly Holm avait beau être K.O, ils ont cherché à ce qu’elle se relève parce qu’ils ne voulaient pas qu’elle perde. C’était prévu qu’elle gagne ce soir-là, et encore sur les vidéos on ne voit pas tout parce que c’est coupé, mais moi je suis resté bien dix minutes dans mon coin du ring à attendre. Ils cherchaient à ce que je fasse une faute pour me disqualifier. C’est pas la première fois, ça m’est arrivé au moins trois fois dans ma carrière. L’organisateur investit de l’argent sur sa boxeuse pour le récupérer, donc il faut que sa boxeuse gagne. Ce soir-là, ils avaient tout misé sur elle et manque de bol, elle a perdu. Le plus étonnant dans cette histoire là, c’est qu’elle est complètement KO et je me demande même si elle n’était pas dopée. Elle était comme un pile électrique pendant tout le match, avant, pendant et après. Elle ne s’asseyait quasiment jamais, ses jambes tremblaient, elle sautait partout… On sait bien que pendant un combat on n’est pas soi-même, mais je l’ai vraiment trouvée anormale. Je ne pourrais jamais le prouver, je ne sais même pas si elle a passé un test antidopage. Moi je reçois mes résultats mais pas ceux de mon adversaire. C’est l’organisateur qui les reçoit donc je ne peux même pas savoir si elle a été testée. Elle prend ce KO en recevant énormément de coups, donc si en plus elle avait pris quelque chose, elle risquait sa vie.
Pourquoi l’arbitre n’intervient pas à votre avis ?
Parce qu’il a été payé. Beaucoup d’arbitres de boxe sont corrompus. Il savent que s’ils ne respectent pas la volonté de l’organisateur, on ne fera plus appel à eux. Tout le monde le sait mais en parle en cachette, moi je n’ai pas peur de le dire. D’ailleurs ce n’est pas qu’aux Etats-Unis, c’est partout.
La première fois que vous avez poussé la porte d’une salle de boxe, comment avez-vous été accueillie ? Avez-vous eu l’impression d’être traitée différemment du fait d’être une femme, que ce soit par votre entraîneur ou par les autres boxeurs ?
Mon entraîneur n’était pas pour la boxe féminine. Il n’est pas loin des 80 ans, et vous connaissez la mentalité de l’époque. Même s’il a fait des efforts, il a eu beaucoup de mal. Quand je suis arrivé, je lui ai dit que je voulais faire de la compétition. Il m’a dit “ vas te mettre au sac avec la fille qui est là-bas et après, on verra”. Au bout de quelques cours, je retourne le voir et je lui demande quand je pourrais me battre. Il me répond : “les filles font du sac, pas de sparring”. Je lui réplique “ Moi je suis là pour faire de la compétition, pas pour taper dans des sacs”. Alors il m’a testée en me mettant contre Reda Saad – dont le petit-frère (Faarhad Saad, ndlr.) était en équipe de France à l’époque. Je m’en rappellerai toujours, je ne l’ai touché que deux ou trois fois mais je l’ai quand même fait saigner du nez. Quand l’entraîneur a vu ça, il a accepté de m’entraîner pour la compétition. Aujourd’hui on en rigole, mais à l’époque il avait honte qu’une fille l’ait fait saigner du nez, qui plus est devant son père. C’est là que ma carrière a démarré et que j’ai pu prendre une licence.
Y avait-il d’autres femmes qui s’entraînaient dans votre salle ?
J’ai commencé la boxe par le pied-poing au Punch Nancy, le club de Valérie Hénin. C’est une pionnière de la boxe pied-poing. C’est elle qui m’a donné envie à l’époque. Elle faisait de grosses affiches parce que son père businessman se chargeait de sa communication. Je l’ai donc choisie comme modèle à atteindre, voire à dépasser mais jamais je n’aurais imaginé la dépasser autant.
Pourquoi êtes-vous passée du pied-poing à la boxe anglaise ?
Tout simplement parce que j’ai disputé une compétition de boxe pied-poing au Portugal, dont on ne m’avait pas dit que c’était un championnat du monde. Je devais remplacer au pied levé une fille qui s’était blessée à l’entraînement. J’y suis allée toute seule, pour vous dire à quel point les filles n’étaient pas considérées, et j’ai dû trouver un entraîneur sur place qui accepte de m’aider. Finalement, je perds et j’apprends que c’est un championnat du monde sur les affiches. Je me suis vraiment demandé ce que je foutais là. Pendant le combat, je me suis fait exploser la jambe avant, parce que je n’avais pas l’habitude de bloquer les coups. Comme j’avais plus de force dans les bras que dans les jambes, je me suis dirigée vers la boxe anglaise au club de Dombasle Boxe et vous connaissez la suite.
Avez-vous observé des différences de traitement entre les boxeurs et les boxeuses ?
Les boxeuses ne sont pas traitées à égalité avec les boxeurs. Elles n’ont pas la même taille de vestiaire, pas la même qualité d’équipement, etc. Bien que certaines boxeuses comme Estelle Mossely aient gagné en médiatisation, ce n’est pas encore ça par rapport à son mari. La vérité, c’est que la boxe féminine ne rapporte pas assez. Pour vous donner un ordre de grandeur, un championnat du monde masculin rapporte en moyenne 300 000 euros. Moi je touchais dix fois moins alors que j’étais une des boxeuses les mieux payées. La majorité des filles ne touchaient que dix mille euros pour un championnat du monde, et je sais que ça n’a pas beaucoup changé.
Encore aujourd’hui, la durée des combats en boxe féminine est inférieure à celle des hommes. Pensez-vous cela justifié ?
Je ne sais pas. Les filles et les garçons n’ont pas la même boxe parce que morphologiquement, on n’est pas fait de la même manière. Je sais qu’ils veulent passer des filles en trois minutes. Je ne suis ni pour, ni contre, mais je demande à voir. Une minute, c’est énorme. Ça va être difficile à mettre en place.
A votre avis, comment faire pour que la boxe féminine soit reconnue à égalité avec la boxe masculine ?
La médiatisation en premier lieu. L’exemple que j’ai à donner est Regina Halmich. Lors d’une émission télévisée, elle a défié le présentateur. Il l’a pris au mot et quelques temps après, ils ont mis les gants en direct. Finalement, il n’a pas tenu le coup devant elle et a fini le nez en sang. Il a pris une sacrée branlée. Tout le monde a été impressionné et sa carrière médiatique a décollée. Sur les affiches, c’est elle qui était en gros et les mecs en petit. Dix mille personnes venaient à ses championnats du monde, rien que pour elle. Elle n’était pas meilleure qu’une autre mais elle avait la médiatisation dont on a besoin pour mener une carrière sportive. A chacun de ses combats, il y a avait une émission avant, pendant et après le match, des reportages sur ses entraînements, etc. Cela a fait d’elle la plus grande boxeuse allemande de tous les temps.