Qu’est-ce que ça représente pour toi d’être champion du monde, d’avoir la ceinture WBC autour de la taille ?
Je n’en prends pas vraiment conscience encore, c’est tellement fort. C’est un rêve de gosse devenu réalité. La ceinture est magnifique, quand tu connais l’histoire et surtout le contexte dans lequel je suis allé chercher le titre. Sans avoir les meilleures conditions, on a réussi. Je suis le seul français à devenir champion en 15 combats. Je préfère ne pas trop m’attarder dessus, parce que sinon ça voudrait dire que j’arrête, que j’ai terminé. Aujourd’hui, on s’est fixé un nouvel objectif.
La boxe c’est une histoire de famille chez vous. Tes grands frères ont commencé par la thaï, qu’est-ce qui t’a fait pencher pour l’anglaise ?
Mon grand frère Moussa était champion de France de boxe thaï. Ensuite, Ali l’a suivi. Moi, étant jeune, je l’accompagnais dans les galas, à l’entraînement. Je les voyais s’entraîner aux PAO dans notre cour. Je n’avais qu’une envie, c’était de faire de la boxe. Ali avait commencé la boxe anglaise pour améliorer son pied-poings. Il savait très bien qu’en boxe anglaise, il y a plus de perspectives (l’équipe de France, les Jeux Olympiques) alors il m’a conseillé d’aller vers la boxe anglaise. Il m’a dit cette phrase qui me reste aujourd’hui : « tu me remercieras plus tard ». Je ne voulais pas avoir à choisir entre les sports et les études. L’équipe de France m’a permis d’allier les deux.
Quel est ton premier souvenir de boxe ?
C’est mon premier combat en boxe éducative. Le jour où j’ai pris conscience que c’était vraiment ce que je voulais faire, j’ai senti que j’étais à ma place. J’avais 10 ans, je faisais 27kg, j’étais tout maigre. Le boxeur que je devais affronter était absent. J’étais déçu. Mon entraîneur a dit à mon frère que je pouvais boxer contre un boxeur plus lourd et plus grand. J’avais juste envie de boxer, j’ai dit oui et j’ai gagné. C’était un petit interclubs mais quand t’es gamin, tu vois les choses en grand. Mes grands frères étaient là. Habituellement, c’est moi qui allais les voir boxer, cette fois-ci c’est eux qui sont venus me voir.
Qu’est-ce qui vous a poussé, Ali et toi, à créer le Top Rank à Bagnolet ?
Après avoir terminé sa carrière aux Etats-Unis, Ali est venu vivre à Bagnolet. A son retour, beaucoup de jeunes de la ville lui ont demandé pourquoi il n’avait pas une salle où ils pourraient s’entraîner. Dans la famille, le sport nous a tous aidé. Il a vu qu’il pouvait amener sa pierre à l’édifice et aider ces jeunes. C’était une manière de rendre à la boxe, ce qu’elle lui avait donné. Ali voulait aussi avoir son indépendance pour pouvoir nous entraîner. Alors on a créé le Top Rank en 2007.
En 2012, après ta désillusion aux JO, tu stoppes ta carrière pendant deux ans. Qu’est-ce que tu as fait pendant ces deux années ?
Comme monsieur et madame tout le monde, j’ai travaillé. J’avais arrêté ma carrière parce que j’avais perdu sur des décisions injustes. Mon objectif, c’était d’être champion olympique parce que je savais qu’en France une carrière professionnelle, c’est compliqué. Je voyais comment mon frère galérait malgré ses qualités. Pour arriver à mon rêve de gosse : être champion du monde, il me fallait un plan, un promoteur qui gère ma carrière.
Sinon tu n’auras jamais ta chance pour être champion du monde. Pourquoi toutes ces difficultés en France selon toi ?
La France n’a pas la culture du sport, on n’a pas l’esprit patriote comme en Angleterre ou aux Etats-Unis. En France, on n’a pas ce soutien, ces infrastructures, ce public patriote pour te pousser à donner le meilleur de toi-même. Pourtant, on a un très bon niveau dans toutes les disciplines. Mais comme au foot, on critique plus qu’autre chose. En 2008, même les médaillés olympiques comme Daouda Sow et Khedafi Djelkhir n’ont pas été soutenu, c’est honteux. Dans d’autres pays, on les aurait fait boxer dans des stades. Quand l’équipe de France gagne la coupe du monde, tout le monde est content. Sinon, on passe notre temps à les critiquer. Une fois que t’es tout en haut, on te descend. Un peu comme Tony Yoka, il a été champion olympique, tout le monde était content. Aujourd’hui, les gens le critiquent. Pourquoi ? On devrait l’aider dans sa quête mondiale, il en a les capacités. Tout ce qu’il a, il le mérite. En boxe, on ne te donne rien, tout ce qu’on a, on le mérite.
Qu’est-ce qui t’a convaincu de passer professionnel malgré tout ?
J’ai reçu des propositions mais ça ne m’intéressait plus. C’est mon frère Ali qui a su trouver les mots. Et puis, j’ai connu toutes les étapes de la boxe, depuis l’éducative jusqu’aux Jeux Olympiques. Ça aurait été bête de ne pas passer professionnel. Je l’ai fait, toujours avec cet objectif d’être champion du monde.
Tu es un boxeur complet avec une bonne puissance de frappe, mobile, rapide. C’est ton parcours amateur qui t’a apporté tout ce bagage ?
C’est tout mon parcours. J’ai débuté par la boxe éducative où tu apprends la technique, la vitesse, tu ne dois pas appuyer tes coups. Ensuite, je suis passé par la boxe amateur. A l’époque, c’était à la touche, il fallait mettre le plus de touches possibles. Et puis, il y a tous les pays que j’ai pu visiter avec l’équipe de France, croiser les gants au Kazakhstan, à Cuba, en Russie, en Ukraine… Toutes ces rencontres, plus de 200 combats chez les amateurs, la majorité à l’étranger, devant des publics hostiles. Ça te forge, c’est tout ça qui te rend meilleur.
Quelle est ta définition d’un grand boxeur ?
Un boxeur qui s’entraîne dur, qui montre l’exemple, aussi bien dans la victoire que dans l’échec. Je privilégierai toujours l’intelligence à la force. Le boxeur qui est vraiment très intelligent sur le ring – on n’est pas prêts d’en revoir un aussi fort c’est Floyd Mayweather. Un des seuls champions à se retirer invaincu. J’aime le boxeur, après sa vie, ce ne sont pas mes histoires. Quand tu le vois battre des champions avec autant de facilité. Tu n’arrives pas à y croire ! C’est possible car il a toujours eu la bonne stratégie.
On sent que c’est important pour toi de gagner mais aussi de mettre la manière, avec une boxe offensive.
Personnellement quand je regarde la boxe j’aime voir de beaux combats. « La bagarre », ça ne m’intéresse pas. J’aime les beaux gestes, l’efficacité. J’aime montrer l’intelligence du ring. J’ai su gagner avec mes armes, grâce à mon intelligence. Je suis un boxeur complet, j’arrive à varier, les temps forts, les temps faibles. Je sais boxer en avançant, en reculant, et quand je recule, je domine malgré ça. Tu recules, pour tendre un piège à ton adversaire et le contrer. Lui faire croire que t’es dans une situation difficile, alors que t’es en contrôle. Ma force, c’est de pouvoir m’adapter à mon adversaire.
On a pu voir Roy Jones Jr dans ton coin à Las Vegas contre Rau’Shee Warren. Qu’est-ce qu’il t’a apporté ?
La connexion s’est faite par l’intermédiaire de ma structure de management, MTK Global. Roy Jones Jr est un multiple champion du monde, il nous a apporté son expertise, sa vision du haut niveau mondial. Il nous donnait des conseils à la leçon. Il nous a mis en confiance mon frère et moi en approuvant notre schéma tactique. Je n’aurai jamais pensé avoir une telle légende dans mon coin, ça te rend automatiquement plus fort.
Justement, que t’apportes une structure comme MTK ?
J’ai signé avec MTK Global en 2018. Sans eux, je n’aurai jamais été champion du monde. On ne m’aurait pas donné ma chance ! C’est important de bien s’entourer. Dans le haut niveau, t’es obligé d’avoir des personnes qui défendent tes intérêts. Tu as beau être challenger mondial, si tu n’as personne qui veille sur tes intérêts, du jour au lendemain, tu disparais des classements. Si tu es dangereux et que tu n’es pas soutenu, tu ne seras jamais champion !
Qu’est-ce que ça te fait de représenter la France au plus haut niveau mondial professionnel ?
Tu n’as peut-être pas toutes les cartes en main au départ, mais c’est toi qui crées ton destin. Un moment donné, le travail paye. Quand on connaît les conditions qu’on a ici, c’est très compliqué d’être champion. J’étais loin d’imaginer tout ça ! Remporter le titre et réussir à le défendre deux fois, à l’étranger en plus. J’ai marqué l’histoire de la boxe tricolore et c’est une grande fierté. Quand j’ai remporté le titre, ça faisait plus de 60 ans qu’il n’y avait pas eu de français champion du monde en poids coq. Le dernier, c’était Alphonse Halimi. Je n’en prends pas encore conscience volontairement, car je sais que mon histoire n’est pas terminée. Je ne peux pas me reposer sur ça, sinon je m’arrête aujourd’hui. Mon objectif, c’est l’unification des ceintures.
Tu as baigné dans la boxe depuis tout petit. Qu’est-ce que tu souhaites faire après ta carrière ?
Je resterais dans le milieu du sport, on verra selon les opportunités qui se présentent. J’aimerai rendre à la boxe ce qu’elle m’a donné. Elle m’a permis de m’épanouir. J’aimerai apporter mes compétences, ma vision. Aujourd’hui, on est dans un moment fort de la discipline avec les six médailles remportées aux derniers Jeux Olympiques et ma victoire pour le titre de champion du monde aux Etats-Unis. Chez les professionnels, je souhaite donner des perspectives, il faut leur donner les conditions nécessaires pour qu’ils soient de réels professionnels. La plupart ont un travail côté de la boxe. C’est seulement à partir du moment où je suis devenu champion que j’ai pu arrêter de travailler. C’est vraiment pour l’amour du sport et pour décrocher mon rêve de gosse que j’ai persévéré.
Il faut aussi, penser à l’après-carrière. Quand tu es jeune, tu peux te permettre de te focaliser sur le sport. Quand tu vieillis, il faut penser à ta reconversion, une carrière c’est court. C’est important d’avoir des diplômes, des formations continues. Dans notre famille, on a été élevé comme ça : le sport et les études, et s’il y avait un choix à faire c’était les études. Oui, les résultats sportifs sont importants mais, il ne faut pas oublier que derrière l’athlète, il y a une vie. Une carrière peut s’arrêter du jour au lendemain. Beaucoup de boxeurs qui ont tout donné pour le sport, se retrouvent sans rien une fois leurs carrières finies.