On t’a remarqué plus agressive depuis ton passage chez les pros. Est-ce une réelle volonté de ta part ?
Bien sûr, les qualités demandées chez les professionnelles sont différentes. Il faut être plus posée, appuyer ses coups. Au fur et à mesure des combats, j’essaye de progresser dans ce sens-là, de faire le moins d’erreur possible. J’ai un objectif élevé, les adversaires seront de plus en plus durs. Même si certaines erreurs ne sont pas encore problématiques, elles peuvent le devenir sur de futurs combats. Je cherche aussi à être plus efficace en termes de puissance et de précision. Katie Taylor, championne unifiée, domine ta catégorie.
Vous vous êtes affrontées plusieurs fois en amateur. Qu’est-ce que tu penses de cette boxeuse ?
Elle réussit sa carrière professionnelle, elle est bien entourée. Je pense qu’elle a fait le tour en unifiant toutes les ceintures. Tout le monde attend un nouveau challenge. Un combat face à elle serait intéressant de par notre histoire. On a toutes les deux étés championnes olympique, on s’est affrontée plusieurs fois chez les amateurs. J’ai enchaîné deux grossesses. J’ai encore des choses à peaufiner. Pour l’instant, je vais prendre mon temps et quand je serai prête, j’irai l’affronter.
Quel bilan dresses-tu de ta carrière professionnelle aujourd’hui ?
Au bout de trois ans de carrière professionnelle, j’aurais dû être à un meilleur niveau mais j’ai fait le choix d’avoir des enfants, de prendre plus de temps. Aujourd’hui, je suis satisfaite. Je fais les choses comme je le souhaite. J’ai trouvé l’équipe qui me correspond. C’est la première fois que je fais une préparation complète aux États-Unis depuis mon retour. Le prochain combat sera un vrai test pour voir où j’en suis et où je vais. Lors de ta deuxième grossesse, tu as continué à t’entraîner le plus longtemps possible.
Quelles différences as-tu ressenti par rapport à la première ?
Etant donné que j’ai maintenu l’entraînement assez longtemps, la situation n’a pas été aussi dure que pour la première grossesse. Je me suis réadaptée plus rapidement au rythme de l’entraînement. Je ne suis pas repartie d’aussi loin. J’ai pu vite retrouver mes sensations sur le ring. Pour tout le monde, le plus difficile lors d’une longue interruption, c’est dur de retrouver le rythme. Il y a tout un travail sur la condition physique à reprendre.
Est-ce que tu as un modèle ?
J’aime beaucoup Usain Bolt mais je ne prends personne en modèle. Je pense qu’on peut s’inspirer, qu’un modèle peut être une source de motivation mais avant tout c’est important de se trouver soi-même, de connaître ses qualités et ses défauts et de chercher à s’améliorer. J’essaye d’être une meilleure version de moi-même.
Tu as commencé à pratiquer à l’âge de 12 ans, qu’est-ce qui t’a attiré vers la boxe ?
Plus jeune, j’ai commencé par des sports totalement différents (danse, patinage artistique, natation) et j’avais envie de pratiquer une nouvelle discipline, de tester un sport de combat. Je ne connaissais pas du tout la boxe. Je cherchais un sport où je pouvais vraiment me dépenser et j’y ai trouvé un réel engagement physique et mental. De nombreux sports sont plutôt monotones, alors qu’en boxe, les entraînements sont variés. Parfois, on va sur piste, on fait du cardio, on va à la piscine. Puis, la compétition m’a amené à persévérer dans la boxe.
Tu as créé l’association LPERF pour « accompagner les athlètes femmes dans la gestion de leur carrière », quel est son objectif ? Estimes-tu qu’il existe des disparités dans le sport entre les hommes et les femmes ?
La disparité, elle existe à tous les niveaux. L’homme et la femme sont différents. Nous n’avons pas les mêmes capacités physiques, ni les mêmes besoins. Au-delà des inégalités salariales ou de traitement médiatique, j’avais envie d’apporter des solutions concrètes aux problématiques spécifiques que rencontrent les femmes, de pouvoir apporter des réponses. Par exemple, nous proposons un accompagnement gratuit (médecins, entraîneurs, préparateurs physiques) aux athlètes femmes enceintes, pour pouvoir les accompagner pendant cette pause et pour leurs retours. C’est ma façon de m’engager pour mon sport.
De nombreuses boxeuses professionnelles se plaignent de la durée de round plus courte que chez les hommes (2 minutes contre 3 minutes chez les hommes et 10 rounds contre 12 chez les hommes au niveau mondial). Qu’en penses-tu ?
De mon point de vue, cette différence n’a pas lieu d’être, je ne vois pas l’intérêt d’instaurer des rounds plus courts pour les femmes. Nous sommes capables de tenir 3 minutes, il suffit juste de travailler cette différence de temps à l’entrainement. Pour autant, il y a des différences qui peuvent être intéressantes. Les femmes boxent avec des gants plus gros que ceux des hommes alors que nous avons moins de force. Dans un sport où l’on cherche la puissance et le KO, la logique voudrait qu’au contraire, on boxe avec des gants plus petits pour apporter plus d’impact et avoir plus d’efficacité. Cette règle a sûrement été faites dans le but de protéger les boxeuses mais quand on s’engage dans la boxe, on a conscience des risques. En tant que compétitrice, on veut repousser nos limites. C’est un élément qui pourrait attirer plus de public, et ainsi réduire l’écart médiatique entre la boxe masculine et féminine.
En 2019, tu as voyagé pour la première fois au Congo, un des tes pays d’origine. Qu’as-tu ressenti ?
C’était un projet de longue date, que j’avais repoussé plusieurs fois et à un moment donné, j’ai tout arrêté. Il fallait que j’y aille ! C’est une part de moi que je ne connaissais pas bien. Finalement, c’est comme si j’apprenais à découvrir quelque chose de nouveau, mais qui m’appartient, une culture différente. Je suis aussi partie à la rencontre de clubs de boxe. Au-delà de rendre le sport accessible à tous, on avait différentes problématiques. La plupart des personnes n’avaient pas de chaussures pour s’entraîner, peu avaient de gants ou de bandages. Au travers de mes partenariats, on a pu distribuer du matériel et aussi échanger avec les boxeurs autour de la compétition, des Jeux olympiques…
Tu as dit à propos de tes parents : « Ils ont émigré en France l’année de ma naissance. Mais leurs diplômes, un doctorat et un bac + 5, n’ont pas été reconnus. Ils sont devenus intendant et magasinier ». Qu’est-ce que tu ressens quand tu vois tout le chemin que tu as parcouru ?
Mes parents n’ont pas eu l’opportunité de faire ce à quoi ils étaient destinés. Leurs diplômes n’étant pas reconnus en France, ils ont dû redémarrer à zéro. Tout ce que je fais, je le fais aussi pour eux. Quand j’étais dans la difficulté, je repensais aux sacrifices qu’ils ont endurés. Je veux prouver que peu importe d’où l’on vient, on peut réussir. On se doit de réussir même. Il faut se donner les moyens. Je trouve ça juste de leur rendre ce qu’ils ont fait pour moi, de donner le meilleur de moi-même et de faire des choses à la hauteur de mes compétences. Parfois, ce fut compliqué, mais le sport m’a permis de vivre tellement de belles choses, de voyager et de gagner en maturité.
Que t’ont apporté tes études d’ingénieur ?
J’ai poursuivi mes études en parallèle de l’équipe de France. Le sport de haut niveau prend beaucoup de place dans ma vie. Ça demande beaucoup d’investissement. Dans le sport, il y a des victoires mais il y a aussi des défaites. Les études me permettaient de passer à autre chose dans les moments où j’avais envie de couper avec le sport. Parfois, on s’entraîne tellement dur et on n’arrive pas à atteindre nos objectifs. Les études étaient mon échappatoire.
Quels sont tes prochains objectifs ?
D’abord, je défendrai ma ceinture IBO, le 5 mars. J’espère enchaîner avec un autre combat dès le mois de mai, pour continuer ma progression. Ces temps-ci, rien ne se passe comme prévu, avec les annulations, les confinements… (rires). C’est une période trop compliquée pour avoir une vision sur le long terme. Mon objectif reste le championnat du monde. C’est quelque chose qui se travaille, notamment au niveau médiatique, et je suis prête à attendre que toutes les conditions soient réunies. Ce serait dommage d’affronter Katie Taylor sans la présence du public à cause des conditions sanitaires… (sourire).