ROUND 1
Retour en 96, quand Mohammed Ali se rendit à Pensacola en Floride pour un événement avec Roy Jones Jr. Même dans ses bons jours, l‘élocution d’Ali était plutôt limitée mais il pouvait toujours bouger sur le ring et faire quelques petits exercices. Ali et Jones se retrouvèrent face-à- face sur le ring à simplement tourner et feinter leurs jab, Ali sourit et fit signe à Jones qu’il avait trouvé une ouverture. Il imita et exagéra le point faible qu’il avait découvert dans la garde de Jones et les deux se mirent à rire. Roy confessa : « Oui tu l’as trouvé. Mais je suis si rapide que je peux m’en sortir malgré tout ». Et quelques années plus tard, il ne pouvait plus.
« Les vieux boxeurs ne s’éteignent pas », avait écrit le romancier Budd Schulbert. « Ils meurent lentement sous nos yeux ».
Pour lui, Roy Jones était un « génie », un « Hamlet avec un protège-dents ». A 47 ans, Roy Jones voulait continuer sa carrière de boxeur. Pour combien de temps encore peut-il continuer sans aggraver sa santé ? Combien de temps avant que ce choix ne soit plus le sien ? Est-ce que quelqu’un a le droit de lui retirer la passion qui l’anime depuis l’âge de 5 ans ? Durant sa carrière professionnelle qui dura un quart de siècle, Roy Jones avait dominé pendant 15 ans comme peu l’ont fait avant lui. Ses dix dernières années l’ont vu prendre son lot de défaites, huit dont certaines très violentes. En 2004, le célèbre commentateur américain, Jim Lampley, a dit que voir Roy Jones KO pour la première fois, contre Antonio Tarver, fut un des plus grands chocs de sa carrière. Ce fut la première fois de sa vie que Jones fut mis KO. Le monde de la boxe venait à peine de se remettre de ce choc, que quatre mois plus tard un autre coup vit la tête de Jones frappé le sol où il resta inerte face à Glen Johnson. Accompagné par le corps médical, il lui faudra bien 15 minutes avant que l’ambulance ne le sorte du ring.
En 95, Roy avait vu son ami Gerald McClellan, être assommé par Nigel Benn. Un caillot de sang dans le cerveau failli lui coûter la vie. Après cela, Jones promis qu’il ne prendrait plus autant de risque. La scène le hanta pour le reste de sa vie, mais elle ne le dissuada pas de remonter sur le ring. 25 ans de carrière professionnelle sont passés, il eut entre temps une femme et 6 enfants, des rumeurs de problème d’argent et des appels pour lui dire de raccrocher les gants. Mais il est toujours là. Plusieurs personnes lui ont demandé, après avoir été le premier champion du monde des poids moyens à remporter un titre en poids lourds depuis 106 ans, à être considéré comme un des plus grands boxeurs toutes catégories confondues, qu’a-t-il encore à prouver ?
« Si Dieu voulait vraiment que j’arrête, tout ce qu’il avait à faire est d’avoir un docteur à la Mayo Clinic qui trouve quelque chose de mauvais sur mon cerveau. Juste un signe de traumatisme et j’arrêterai » m’a dit Roy Jones. « Je suis là où Dieu veut que je sois. Arrêter maintenant serait une malveillance envers Dieu après tout ce qu’il m’a donné et tout ce qu’il a prévu. C’est pour ça que je suis là… personne ne peut me dire autre chose. »
Pensacola. Quand le père de Jones Jr revint dans cette petite ville côtière de Floride après la guerre du Vietnam, il travailla à la base navale comme électricien aéronautique pour subvenir aux besoins de sa famille. En 1975, Roy Jones Sr tenta une carrière dans la boxe professionnelle. Il remporta ses huit premiers combats d’affilés avant d’être mis KO en 3 rounds par un certain challenger du nom de Marvin Hagler. Big Roy perdit 4 autres combats à Las Vegas avant de revenir dans son quartier à Pensacola pour entraîner son fils et d’autres jeunes.
ROUND 2
Alors qu’on se rapproche de la maison, trois hommes jouent avec une petite fille et un petit garçon. Je sors du taxi. « Vous êtes perdu ? » me demande le plus grand du groupe en marchant lentement dans ma direction. « Je cherche Roy Jones pour l’interviewer. ». L’étranger se rapproche pour me serrer la main avec un sourire plein de dents en or. « Je suis Coco », « Là-bas, c’est le cousin de Roy et ses enfants Royce et Reagan sur le scooter ». Royce a des tresses qui lui arrivent aux épaules mais elle ressemble comme deux gouttes d’eau à son père.
– Tu veux jouer au basket avant que Papa arrive ? On a un terrain juste à côté de la salle.
– Cool, répondis-je. Elle pointa du doigt l’interminable cages à coqs. Elle me prit par le coude et me fit le tour du propriétaire, son petit frère suivait derrière.
Alors que je voyais la jeune fille accélérer en scooter, je me souvins d’une histoire que le journaliste Thomas Hauser m’avait racontée à propos d’elle. Elle était dans le vestiaire du Madison Square Garden après que son père ait perdu contre Joe Calzaghe. Elle vit un enfant pleurer en voyant le sang sur le visage gonflé et meurtri de son père. Elle tira sur son short pour attirer son attention. Il l’embrassa et la regarda. Elle cria : « Je suis une grande fille, Papa. » « Tu vois ? Je ne pleure pas. » Ensemble, ils me montraient la salle de leur père derrière le gigantesque garage.
A l’intérieur, un poster géant de Jones durant sa gloire salue les visiteurs, à côté de dizaines d’autres vieux posters de ses anciens combats. Royce grimpe sur le ring en shadowboxing en se regardant dans le miroir tandis que sa sœur trifouille les vieux équipements un peu partout.
– Où votre père va-t-il courir ? demandai- je à Royce.
– Courir ?
– Oui, le matin quand il va courir. Il rigola : « Papa ne court plus depuis bien avant que Raegan ne soit né. Ses genoux ne sont plus en état.»
Raegan hocha la tête.
– Il ne peut pas courir ?
Ils hochèrent la tête à l’unisson.
– Je croyais qu’il jouait au basket…
– Papa essaye, rigola Raegan. Leurs visages s’éclaircirent en entendant une voiture se garait devant la maison.
« Maman ! » ils s’écrièrent en m’abandonnant dans le gym pour courir la rejoindre.
« C’est Natlyn ? » je demandais à Coco.
« Non, fiston » il me corrigea. « C’est Madame Jones qui arrive ».
ROUND 3
Roy Jones est un des sportifs les plus récompensés de l’histoire. Sa maison est décorée comme telle : des trophées, des posters attachés au murs, des médailles, une énorme collection de sneakers datant de l’époque des sponsors avec Jordan et Nike. Mais, la fierté de la famille, c’est les combats de coqs. Des coqs qui nous regardent de chaque mur dès que l’on entre dans la maison. Et sur la cheminée de nombreux prix de combats de coqs. Natlyn Jones, originaire de Floride, m’invita dans la cuisine pour boire un thé tandis qu’elle réchauffait de la nourriture pour ses enfants. Elle était vêtue d’une large veste à capuche et une queue de cheval mais restait élégante malgré tout. Elle ne fut qu’une adolescente lorsqu’elle rencontra Roy Jones Jr, durant ses études pour devenir avocate. Elle tomba amoureux et il devint son premier petit copain. Ils se marièrent et fondèrent leur famille au début des années 2000. Elle abandonna ses ambitions mais continua ses études de droit.
– Je suis désolé que Roy vous ait fait attendre. J’espère que les petits monstres ne vous en ont pas trop fait voir de toutes les couleurs.
– Non, ils étaient supers. Ils m’ont fait faire le tour.
– Leur papa a un grand cœur, dit-elle en souriant. Quand il est là, son téléphone n’arrête pas de sonner du lever du soleil jusqu’à la tombée de la nuit.
– Combien de ses appels sont de personnes qui lui demandent un service ?
– En ce moment ?
– Comparé au moment où il était champion du monde ?
– Au top de sa carrière ? Après qu’il ait gagné le titre de champion des poids lourds, 95% des personnes l’appelaient pour lui demander un service. Maintenant ça a ralenti, mais il y en a toujours beaucoup… Les gens pensent que c’est facile quand ont réussi mais il faut être préparé à beaucoup de choses. En se mariant avec un sportif professionnel, il faut savoir à quoi on s’attend. Je n’étais pas forcément prête. Il était si gentil, et vous savez, on tombe amoureux.
– Je ne me souviens pas vous avoir vu assister à un de ses combats ? Vous y allez souvent ?
Elle secoua la tête pour dire non.
– Je pense vous avoir vu après un de ses combats à Moscou.
– Oh la la oui, dit-elle en se cachant le visage. Le combat contre Lebedev, je n’arrêtais pas de pleurer. Tu regardes quelqu’un que tu aimes, et tout ce dont tu as envie c’est d’entendre le gong final tout en sachant que tout le monde est sain et sauf. On n’y était presque et puis c’est arrivé. 10 000 ou je ne sais combien de personnes sont en furie. Il est allongé par terre et tu as peur qu’il ne soit plus le même homme quand il se relève.
– Tout ses hauts valent-t-ils ses bas ? Natlyn se pencha sur le comptoir de la cuisine et fixa le plafond du regard.
– Non, du tout.
Roy Jones rentra dans la maison, il était toujours en forme malgré ses 90 kilos. Il alluma la lumière et posa son sac de sport. Je pouvais voir que ses contours étaient un peu plus remontés qu’à l’époque. Ses genoux étaient bien pires que ce que j’imaginais. Ça m’a mis du temps à réaliser que cet homme qui exprimait si bien la fougue de la jeunesse avait atteint la cinquantaine.
ROUND 4
Roy Jones Jr débuta la boxe à l’âge de 5 ans et la compétition à 10 ans en 1979, sous la coupe de son père. Entre cette période et le moment où il devint le plus jeune membre de l’équipe olympique américaine, il avait parcouru des milliers de km le long de l’autoroute de Pensacola, sur les rails de train ou sur les sentiers. Pratiquement chaque après-midi, il boxait jusqu’à épuisement contre des enfants plus grands, plus vieux que lui dans la cour de son père. Son père était très violent. Il le battait avec « tout ce qu’il lui tombait sous la main ». Ça pouvait être une corde à sauter, un manche à balai ou un tube en PVC. Il ne l’a jamais frappé avec ses poings mais selon Roy : « Il ne l’a pas fait uniquement parce que ça aurait pu provoquer des lésions cérébrales dans un de mes combats étant jeune. Sinon, je suis sûr qu’il l’aurait fait.»
En grandissant, Roy Jr eut 134 combats amateurs pour seulement 13 défaites. En 1984, il remporta les Jeux Olympiques junior en 1984 en poids coq, suivi de deux titres nationaux américains des Golden Gloves en 63kg et 71kg. En 1988, il s’envole pour les J.O de Séoul comme l’un des plus grands espoirs de la boxe. Il perdit en finale dans ce qui fut l’une des plus grandes injustices des Jeux Olympiques. Après s’être fait voler face au coréen, il essuie ses larmes, et dit vouloir abandonner la boxe. De retour à Pensacola, il changea d’avis et durant les 27 prochaines années de sa vie, il dit n’avoir jamais songé à raccrocher les gants. Il combattit 461 rounds en 70 combats.
« Je suis content que t’aies pu venir » dit-il en me souriant. « En général je ne laisse pas les gens entrer dans ma vie comme ça. Mais comme Jim Lampley m’a appelé à propos de toi, ça m’a suffi. Viens, on va discuter. »
En me serrant la main il s’excusa pour son retard. Malgré tout ce qu’il avait accompli, Roy Jones n’était pas spécialement charismatique. C’est un mec «vrai », comme beaucoup me l’ont dit « il est toujours ce même gars de la campagne ». On a parlé pendant 1h sur son canapé, du monde de la boxe, jusqu’à ce qu’un de ses enfants vint pour lui dire bonne nuit. Sa femme faisait la vaisselle. Je changeais le sujet pour enfin parler de sa propre histoire.
– Etant donné toutes les histoires horribles à propos de ton père. Ça doit être quelque chose de recevoir autant d’amour de tes enfants.
– Je n’ai jamais voulu qu’ils ressentent ce que moi je ressentais pour mon père.
– Comment tu sépares ta vie de boxeur et ta vie de père de famille ?
– Ma vie a toujours été un combat.
– Y a-t-il un boxeur que tu as affronté qui t’as effrayé autant que ton père ?
– Jamais, répondit-il après avoir repris sa respiration.
– Tu n’as jamais pensé à t’éloigner de lui et de Pensacola ?
– Quitter ma ville ? Pour quoi ? C’est censé me rendre heureux ?
– Je suis né en 1979, l’année où tu as commencé la boxe.
– Hum hum
– Ça doit être éreintant de continuer à s’entraîner. Il n’y a pas une part de toi qui veut arrêter de souffrir ?
– Non, dit-il en riant. Mais si j’arrête, ce sera un soulagement pour ma femme et mes enfants.
– Hum ? Natlyn s’écria.
– Je disais juste que si j’arrête ma carrière, tu serais soulagée.
– Pourquoi tu dis ça ?
– Elle serait heureuse, sourit-il.
– Enfin, une part de moi serait heureuse.
– Elle serait heureuse.
– Tu n’as jamais pensé à arrêter ?
– Si, après les JO. Et ensuite, si Tyson avait voulu m’affronter après que j’ai gagné le titre des poids lourds, j’aurai arrêté. Imagine un tel combat Tyson vs Roy Jones.
– Tu voulais vraiment l’affronter ?
– Bien sûr, j’aurai fait 50 millions de dollars facilement. Et regarde comment Toney a battu Holyfield. J’ai battu Toney, j’aurai boxé Tyson comme Holyfield l’a fait.
– Tu aurais essayé de le mettre KO ?
– Je l’aurai mis KO. J’ai tout essayé pour que ce combat voit le jour. Il n’a pas voulu.
– Qu’est-ce qu’il te manque pour arrêter ?
– Le titre des lourds-légers. Personne dans l’histoire n’a gagné tous les titres que j’ai gagné et le titre des lourds-légers. Je serai le seul dans l’histoire. Et quand tu meurs et arrive au paradis, Dieu te regarde et sait que tu as fait tout ce que tu pouvais avec les dons qu’il t’a donnés. Si je meurs aujourd’hui, est-ce que je pourrais dire cela ? Si je m’arrête, est-ce que je pourrai vivre le reste de ma vie en sachant que je n’ai pas fait ce que je devais faire ?
– Je pense que beaucoup de monde serait d’accord pour dire que tu as fait assez pour rentrer dans l’histoire.
– Après avoir remporté le titre des lourds-légers, ce sera la fin.
– Tu es sûr ?
– A moins qu’on me file une bourse énorme pour un autre combat, j’arrêterai oui. Un dernier combat chez moi à Pensacola et je prendrai ma retraite.
ROUND 5
Le lendemain matin. Jones me proposa d’aller à sa vieille maison sur Barth Road, où il a commencé la boxe. Son fils s’assoupi à l’arrière. Alors qu’on se rapproche de la maison de son enfance, il devient plus distant et effacé.
– Papa, c’était quoi ton ancien travail ?
– J’ai toujours été boxeur.
– Tu n’avais pas de vrai travail avant ?
– La boxe a toujours été mon travail.
– Tu t’imagines avoir un « vrai » travail ? lui demandais-je.
– Non, sourit-il. Je n’aime pas trop revenir ici. Trop de mauvais souvenirs. Il avança tout de même. Tu vois la maison à côté du restaurant ? Maintenant garde un œil sur la distance qu’il y a d’ici jusqu’à la maison de mon père. Il se mit à accélérer assez violemment et je regarde le compteur. Il me tape sur l’épaule pour me dire de regarder par la fenêtre.
– C’est ici que ton père t’entraînait ?
– Ouais. Et chaque jour je courrai d’ici jusqu’au feu aller-retour. Tu vois comment mes genoux me font souffrir ? Pas la peine de chercher pourquoi ! Mon père prenait en charge d’autres enfants plus âgés et s’ils me battaient, tu pouvais être sûr que j’allais prendre une rouste une fois rentré à la maison.
– Il te faisait courir 16 kilomètres chaque jour ?!
– Et du sparring jusqu’à épuisement. Que de l’entraînement. Tout le monde disait que j’étais un surdoué ou que j’avais un don. C’est des conneries. Je travaillais comme un dingue. Aucun boxeur n’a travaillé aussi dur pour atteindre ses rêves comme je l’ai fait. Quand je suis devenu plus âgé je suis parti.
– Tu ne t’es jamais demandé si ton père avait un traumatisme à cause de la guerre, de ce qu’il a vu au Vietnam?
– C’est des conneries ! S’il avait un traumatisme, pourquoi j’étais le seul sur lequel il s’acharnait ? Pourquoi personne d’autre ?
– Il n’a jamais frappé ta mère ?
– C’est arrivé mais pas comme il le faisait chaque jour avec moi. Mon père a fait le Vietnam et s’est assuré que je le vive aussi en grandissant.
– Comment t’as fait face à tout ça, Roy ?
– J’ai pensé à me suicider plusieurs fois. En grandissant, nous étions de plus en plus entourés. Il ne pouvait pas être aussi mauvais. Il devait faire plus attention au cas où quelqu’un verrait qu’il maltraitait des enfants. Ça a grandement contribué à devenir ce que je suis aujourd’hui. Mais pas uniquement. Mon père m’a entraîné à devenir un champion, mais mes frères et sœurs, autant que ma mère, ont pris soin de moi. Pendant que je vais jouer au basket je vais te laisser avec Freddie. Personne sur cette terre ne me connaît mieux que lui.
ROUND 6
Freddie Jones a emménagé ici peu de temps après que son neveu ait remporté son premier titre mondial. Même s’il a 8 ans de moins que Big Roy, le père de Roy Jones Jr, on les prend souvent pour des jumeaux.
– Habituellement, on dit qu’il y a du bon et du mauvais en chacun. Mais entre nous deux, Big Roy doit représenter le mal et moi le bien. C’est probablement ce que doit penser Roy. Je ne pense pas qu’il serait allé aussi loin sans cet équilibre. Tous les athlètes aussi dévoués, et il y en a peu, ont besoin de cet équilibre. Roy a parlé de nombreuses de fois de meurtres et de suicides dans sa jeunesse. Il a coupé les ponts avec son père à 23 ans. Ensuite, je faisais en quelque sorte le lien entre les deux. Je me souviens quand James Toney provoquait Roy en disant « je vais te briser ! ». Deux secondes après j’avais son père qui criait au téléphone « Pour qui il se prend ?! Dit à Roy de mettre cet enfoiré KO ! »
Je lui demandai s’il pensait que Roy continuerait encore à combattre à bientôt 48 ans.
– Pour dire la vérité, je pensais qu’après avoir remporté le titre des poids lourds il aurait pris sa retraite. Mais si ça lui plaît, qui a le droit de lui dire d’arrêter ? C’est sa décision.
– Est-ce que tu souhaites qu’il arrête ?
Il me fixa : « Ce que je pense n’a aucune importance. J’ai toujours fait en sorte que Roy Jr soit le meilleur neveu qu’il puisse être. Je ne suis pas là pour douter, je suis là pour le soutenir autant que je peux. Il sait qu’il ne peut pas faire ça éternellement. Il ne veut pas y penser mais ça arrivera. C’est le cycle de la vie. Il a encore tellement à vivre. Il a des enfants, sa femme…bientôt des petits enfants. Ça doit être compliqué pour lui ; boxer est la seule chose qu’il connaisse.»
ROUND 7
Le lendemain après-midi, Roy passa me prendre pour le voir jouer à un match de basket. Sur la route, des passants le reconnaissent et le saluent chaleureusement. Il est toujours disposé et reconnaissant quand il rencontre les gens et se plaît à apporter un sourire à chaque personne qu’il croise avant de continuer son chemin. Il reste naturel, et ça ne semble jamais forcé. On retrouve Roy Jones sur le terrain de basket avec des jeunes de l’armée. La plupart du temps il joue tranquillement sans risquer la blessure. Puis, ses genoux se font de plus en plus douloureux. Mais lorsqu’une action dangereuse arrive, son esprit de compétition reprend le dessus. A deux points de retard, je le vois remonter pour un layup. Sur l’action suivante il redescend, se tort de douleur et bloque un panier adverse pour sauver son équipe. « Tu l’as vu ! Fais pas comme si tu ne l’avais pas vu ! ».
ROUND 8
La route pour aller chez Roy Sr fut silencieuse. Roy Jones Jr ne mâche pas ses mots lorsqu’il parle de son enfance. Au quotidien, son père le maltraitait tout en l’entraînant à devenir un des plus grands boxeurs de tous les temps. Aucun adversaire ne sera aussi craint que son père avec qui il n’a plus eu de conversation depuis plus de 10 ans. Il prétend ne pas se soucier de lui, qu’il ne ressentirait rien s’il venait à mourir. Pourtant, c’est bien lui qui a acheté sa maison, la Bentley et la Rolls Royce également. Roy me montre ses bras pleins de cicatrices. « T’imagines faire ça à un enfant ? Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter de telles corrections ? ».
ROUND 9
Quelques minutes après. On arrive chez son père. Les deux évitent tout contact visuel.
– Qui c’est ? demanda Roy Sr, sans jamais regarder vers son fils qui fait de même.
– C’est un journaliste qui fait un reportage sur moi.
– Ah oui ?
– Oui.
La porte claque, la voiture repart. Et les retrouvailles se terminent.
– Ok. Je dois aller chercher mon fils à l’école. Tu peux venir avec moi si tu veux.
– Depuis quand vous vous êtes séparé ?
– C’est marrant dit comme ça. On ne se parle pas, mais c’est toujours mon fils. C’est ce que je lui dis. Tu ne peux rien faire, je ne peux rien faire. Ce que tu fais de ta vie ne me regarde pas. Mais je serai toujours ton père. Je ne l’ai pas élevé pour qu’il soit comme moi, je l’ai élevé pour qu’il soit meilleur. S’il ne comprend pas ça en grandissant, ce n’est pas mon problème. Il faut savoir que la boxe n’a jamais été ce que je voulais pour lui. C’était son rêve, pas le mien.
– Est-ce que vous êtes inquiet que votre fils continue à boxer Comme beaucoup, je pense aussi qu’il devrait arrêter. Mais si c’est ce qu’il veut, c’est son choix.
– Qu’est-ce qu’il lui reste à prouver ?
– De ce que j’ai compris, il n’a pas encore accompli ce qu’il souhaite. Ce n’est pas une question d’argent. Tu n’emportes pas ça au ciel. C’est pour son héritage. Il veut marquer l’histoire. La raison pour laquelle on nomme des écoles, des stades à ton nom une fois que tu es décédé. Mon fils veut rester dans les mémoires.
Il ne veut pas mourir. Quand il sera parti, il veut savoir qu’il y aura des rues et des bâtiments nommés après lui. Peu importe ce qu’il a fait, ce n’est pas assez bien pour lui. Il pense qu’il n’a pas encore accompli la pleine mesure de son talent. Tu ne remarques pas ça chez lui ?
– Il continue toujours. Il est encore en mission. J’imagine qu’il lui manque quelque chose. Je ne vois pas en quoi le titre des lourds-légers résoudrait ça.
– Je veux le meilleur pour lui parce que c’est mon fils. Je l’aime.
– Vous êtes fier de lui ?
– Je suis fier de son succès, et encore plus de ses erreurs. J’aurai souhaité qu’il fasse certaines choses différemment, mais il est responsable de lui-même. Je souhaite juste qu’il arrête sa carrière avant que cette décision ne soit plus de son ressort.
ROUND 10
Lors de ma dernière soirée avec Roy Jones, nous sommes allés dans un bar regarder un match de football avec son fils, son cousin et un vieil ami. Après m’avoir demandé mes impressions sur son père, il n’est jamais revenu voir le match. Derrière ses yeux se trouvaient l’enfant de 10 ans blessé qui le tourmentait toujours : « Alors, tu as vu comment il est ? ». Il se calma et s’excusa. Puis, il m’interrogea sur le dernier article sur lequel je travaillais. Je lui dis qu’il traite de la corrida en Espagne. Ses yeux s’éclaircirent : « J’adore la corrida. J’ai toujours voulu en voir une. Qui est le Mohamed Ali de la corrida ? »
– Un matador nommé Juan Belmonte.
– Il s’est fait salement amocher ?
– Les critiques disaient que mourir est la seule chose qu’il n’ait pas faite dans une arène.
– Comment il a fini ?
– Il est revenu plusieurs fois de sa retraite. Il a vieilli et a développé un cancer de la hanche. Les docteurs lui ont dit qu’il fallait qu’il arrête de boire, de fumer, de monter à cheval ou de bai*** pour prolonger son espérance de vie.
– Et qu’est-ce qu’il a fait ?
– Il a ramené son cheval, quelques cigares, deux de ses bouteilles de vins préférés et deux des plus belles prostituées de Séville. Le lendemain matin, il s’est tiré une balle dans la tête. Roy Jones Jr rigola : « Je ne me tirerai pas une balle dans la tête. Pourquoi faire ça ? Mon coiffeur, ils lui ont dit d’arrêter de boire sinon il allait mourir. Il a dit : Ok, mais je n’arrêterai pas de boire. Il a continué jusqu’à ce qu’il meure. Et tu sais ce qu’il m’a dit ? On doit bien mourir de quelque chose. »