Le 6 juillet 2019, Felipe Orucuta se fait opérer d’urgence pour enlever un caillot de sang dans son cerveau à la suite d’une défaite contre Jonathan Rodriguez au Mexique. Le même jour Zab Judah, sérieusement blessé est également hospitalisé. Le 19 juillet, l’espoir russe Maxim Dadashev subit une dure défaite des poings de Subriel Matias. Opéré du cerveau, il décède trois jours plus tard. Le 26 juillet, c’est l’argentin Hugo Santillan qui meurt. En octobre, Patrick Day est décédé des suites de la lésion cérébrale traumatique qu’il a subie dans son combat contre Charles Conwell.
Un manque de responsabilisation des autorités
« Ayant assisté à des centaines de combats de boxe depuis 1988 en tant que journaliste, photographe et fan, j’avais vu à peu près toutes les bizarreries du monde de la boxe. Mais je n’avais jamais été témoin d’une mort sur un ring. » Journaliste américain passionné de boxe, Robert G. Rodriguez a publié en 2009 le livre « La réglementation de la boxe : Histoire et analyse comparative des politiques à travers les Etats américains »[1]. Son ouvrage reste à ce jour la seule étude nationale sur les réglementations de la boxe aux Etats-Unis.
C’est la mort du boxeur Randie Carver en 1999, qui a convaincu Rodriguez de mener cette enquête. L’ambulance est arrivée plus de 15 minutes après que Carver ait été mis KO. Les rapports indiquent qu’il est resté allongé sur le ring pendant vingt minutes avant d’être emmené à l’hôpital de North Kansas City. Deux jours plus tard, Randie Carver est décédé d’un traumatisme crânien à l’âge de 24 ans. Cet événement, qui n’est pas isolé, témoigne du manque de responsabilisation des organisateurs.
Malgré les nombreux manquements aux règlements, les autorités n’ont jamais eu de compte à rendre. L’arbitre n’a jamais sanctionné les coups de têtes qui semblaient volontaires de Salem, adversaire de Carver. Le promoteur n’avait pas requis la présence de personnel médical sur le lieu de l’événement. La loi fédérale exige pourtant « du personnel ambulancier ou médical disposant d’un équipement de réanimation approprié et présent en permanence » mais elle « ne définit pas précisément ce qui répond à cette exigence » s’est défendu Tim Lueckenhoff, administrateur du Missouri Office of Athletics et président de l’Association of Boxing Commissions.
En préface du livre, George Kimball, journaliste considéré comme l’un des plus éminents connaisseurs de la boxe, écrit : « Au fil des ans, j’ai été témoin de quelques-uns de ces malheureux épisodes moi-même. En sous-carte de Roberto Duran-Sugar Ray Leonard en 1980, un poids plume nommé Cleveland Denny est tombé dans le coma, et j’ai vu le Dr Ferdie Pacheco, qui faisait partie de l’équipe des commentateurs, abandonner son micro et grimper dans le ring pour aider le boxeur blessé. J’étais aussi à Las Vegas quand Jimmy Garcia s’est effondré sur le ring à la fin de son combat en 1995 contre Gabriel Ruelas. Denny et Garcia ont tous les deux reçus des soins médicaux immédiats, mais ce n’était pas suffisant pour sauver leurs vies. »
Bien sûr nous aimons notre sport mais la vie passe avant tout. Le monde de la boxe doit en faire plus pour protéger les boxeurs. Que ce soit en amont, pendant ou après les combats, les contrôles doivent être plus stricts.
Des familles de boxeurs endettés à cause des soins médicaux
Avec 14 victoires en autant de combats, Prichard Colon était un espoir américain invaincu. En 2015, il enchaîne son troisième combat en trois mois face à Terrel Williams. Le duel est disputé et Colon se plaint de coups reçus derrière la tête. Au 7ème round, il tombe à terre sur une droite de son adversaire. Il se relève, le médecin l’examine. Il dit se sentir « étourdi » mais souhaite continuer. Le combat se poursuit jusqu’au 9ème round. En rentrant au vestiaire, Colon s’effondre, vomit et perd connaissance. Après une grave blessure au cerveau, il restera sept mois dans le coma.
Trois ans plus tard, il n’a toujours pas retrouvé sa mémoire. En juillet 2019, un article du Washington Post relate ses difficultés. Chaque semaine, le jeune homme subit des tests de mémoire pour se rappeler son nom et son âge, en quelle année nous sommes ou pour réapprendre à parler…
Entre mars et juin 2017, Daniel Franco boxe trois fois, ce qui aurait pu lui être fatal. Aujourd’hui, il assigne en justice son promoteur Roc Nation et demande des dommages-intérêts. Daniel Franco atteste que Roc Nation aurait agi imprudemment en lui ordonnant de boxer trois fois en 79 jours sans « les examens médicaux nécessaires ».
Le 23 mars 2017, Franco est stoppé par Christopher Martin au 3è round. Roc Nation l’engage dans un autre combat 50 jours plus tard, le 12 mai. Franco gagne par KO. Le 10 juin, Franco boxe à nouveau face à Jose Haro, c’est son troisième combat en 79 jours. Le poids plume perd au huitième round. Victime d’une hémorragie cérébrale, il tombe dans le coma. Le crâne fracturé, le boxeur doit porter un casque pour protéger le côté gauche de sa tête. Après deux semaines, Franco s’est réveillé de son coma mais affirme qu’il a toujours de graves problèmes neurologiques et cognitifs.
« Ma carrière est finie, je ne peux plus m’entraîner, j’ai encore des douleurs quand je cours. J’étais toujours très actif et maintenant je ne peux plus courir, ni conduire. Je me sens comme un petit garçon. Même si je me sens bien, je ne suis pas en super forme j’ai toujours des gros maux de têtes, j’ai du mal à articuler quand je parle. »
Aux Etats-Unis, les soins coûtent extrêmement chers. Selon le père de Daniel, les frais médicaux de Daniel Franco ont grimpé à plus d’un million de dollars. L’assurance détenue par la mère de Daniel, a pris en charge 80% de ce montant. La famille doit encore environ 96 000 $. Une campagne de soutien a récolté plus de 69 000 $.
Daniel Franco déclare qu’il n’a toujours reçu aucun soutien de Roc Nation, malgré leurs promesses. « Ils étaient en charge de ma carrière, ils ont dit à ma famille qu’ils prendraient en charge les frais médicaux. Mais ils nous ont abandonnés criblés de dettes ».
Parfois, les fans se plaignent qu’un arbitre arrête un combat trop tôt ou qu’un boxeur abandonne. Oui, les boxeurs ne doivent pas tricher, donner le meilleur et aller au bout d’eux même mais ils ne doivent pas y laisser leur santé. Ils ont leurs familles et une vie après leurs carrières. Abdusalamov a boxé pour la gloire contre Mike Perez et aujourd’hui il laisse derrière lui une femme et des enfants qui ne retrouveront jamais leur père tels qu’ils l’ont connu.
Les combattants n’ont de compte à rendre à personne. Voici la phrase pleine de bon sens du champion des super-légers José Ramirez. « Parfois, les entraîneurs et les boxeurs ne veulent pas arrêter le combat, même s’il le faudrait. Ils ont plus peurs des critiques des fans, qui diront qu’ils ont abandonné, que de leur propre santé. J’espère que ces drames rendront les gens plus compatissants à l’égard de la boxe, plutôt que de critiquer les boxeurs sur les réseaux sociaux. »
[1] The Regulation of Boxing : A History and Comparative Analysis of Policies Among American States, McFarland & Co Inc, 2009. Ouvrage non traduit.